Errance Maudite

 

 

Une brûlure terrible déchire mes poumons et m’arrache à la nuit. Je bascule sur le flanc, tousse et crache. Mon cœur bat la chamade, ma respiration est courte, je dois me calmer, reprendre pied. Où suis-je ? Que s’est-il passé ? Tout est flou. Des gravats m’ensevelissent, je les repousse avec précaution. L’absence de blessures me ramène à la réalité, mon absurde réalité. Combien de fois me suis-je réveillé ainsi, régénéré, intact, après une brève incursion au royaume des morts ? Mes souvenirs se bousculent et surgissent en vrac, en dépit de toute chronologie ou logique. Ils sont si nombreux que les trier m’est impossible. Des images de guerres ou séismes depuis longtemps oubliés s’imposent tour à tour pour s’évanouir aussitôt, chassées par d’autres catastrophes. Lesquelles ai-je vraiment traversées ? Desquelles ai-je eu seulement connaissance ? Tout se mélange, je ne sais plus.

L’instinct de conservation prend le relais, dicte mes actes. Je dois bouger, faire l’effort de me relever encore une fois. Le chaos et la désolation règnent ici comme partout ailleurs. De cette ville, comme de ses semblables, il ne subsiste que ruines battues par les intempéries et rongées par l’acidité ambiante. Qu’espérais-je donc ? Un miracle ? Même les rats l’ont désertée. La mort a fait son œuvre, jour après jour. Insidieuse ou par vagues successives, elle a emporté les hommes. Nul cataclysme hollywoodien, juste une succession d’événements localisés, prévisibles, mais pas assez anticipés. L’Humanité a succombé à des siècles d’incurie, à sa bêtise et son arrogance. Le fil de ma trop longue vie se réorganise. Il manque de netteté et reste entrecoupé de blancs ou zones d’ombre. L’ironie de ma situation m’écrase de tout son poids. Je hurle ma rage vers le ciel qui s’obstine à m’ignorer. Quelques grincements métalliques, occasionnés par le vent, me répondent. Les éléments sont désormais mes seuls interlocuteurs.

Combien de temps mon absence a-t-elle duré ? Le soleil, bien que voilé, est haut dans le ciel. Une heure, peut-être deux, à moins bien sûr que je ne doive compter en jours. Mon vieux bâton est en un seul morceau, la couverture usée reconvertie en manteau de voyage n’a pas trop souffert. Inutile de m’attarder dans ces ruines au risque de me prendre un autre mur sur la tête, ou pire, les vestiges d’un immeuble. Me retrouver piégé sous des décombres pour ce qu’il me reste d’éternité ne me tente guère. J’opte pour la sécurité relative d’une grande avenue défoncée. La simple absence d’entretien fait parfois autant de ravages d’un bombardement. La civilisation redevient poussière, mais pas sans continuer à nuire.

Les rares édifices encore debout sont trop communs pour être identifiables. J’ignore où je suis, sinon quelque part en Europe centrale. Où exactement ? Impossible à déterminer. Une énième cité-dortoir sans doute, construite à la hâte pour accueillir des réfugiés climatiques. Elles ont fleuri par centaines dans cette région du monde considérée sûre, avant d’être rattrapées par leur funeste destin.

Je crapahute tant bien que mal, gêné dans ma progression par l’irrégularité du sol, et me hâte avec lenteur, évitant les pièges par trop évidents. Je chute, me relève, continue. Une pluie fine brouille mes repères déjà peu nombreux. Pas de panneaux, ils ont depuis longtemps disparu. Les ruines se font plus éparses, des champs de boue les remplacent. Pas le moindre brin d’herbe en vue. Au-delà, une ligne noire préfigure peut-être une forêt. La plupart sont fossilisées sur pied. Côté ville, les structures sombres et menaçantes d’anciennes usines se découpent encore dans la grisaille permanente. La silhouette plus inquiétante d’une centrale nucléaire, abandonnée à l’implacable usure du temps, complète ce charmant tableau. Devant ces choix, mon cœur balance. Au loin une rivière paresse dans ce paysage morne. Elle lézarde en direction d’un horizon incertain et brumeux mis en relief par le couchant. Des collines ? Voilà qui est, somme toute, plus attrayant.

 

La marche est pénible sur ce sol mouillé, glissant et spongieux. L’obscurité s’ajoute à cet inventaire déprimant et n’arrange rien. Avec la complicité espiègle d’une lune gibbeuse, je persiste. Les nuages finissent par gagner la partie, éteignant jusqu’à la dernière étoile. Je m’arrête et, enveloppé dans mon manteau, m’assieds pour attendre le retour d’une aube nouvelle. Je ne dors pas, ou fort peu. Les nuits et la solitude n’en sont que plus longues. Mon esprit se délite, vagabonde au gré d’images furtives. Des souvenirs. Bons ou mauvais, je les refoule de toute mon âme. Ces fantômes de mon passé ne cherchent qu’une chose : me pousser à la folie. À quoi rime cette éternelle errance ? Le présent est sans espoir. Mais demain ? Cette planète en a connu, des cataclysmes. À chaque fois la nature a vaincu, repris ses droits. La vie a la peau dure, au moins autant que moi. C’est juste une question de temps et de patience.

 

Au petit matin, l’aurore habille les nuages de couleurs changeantes, parfois sublimes, d’autres fois malsaines comme aujourd’hui. La pollution, toujours la pollution. Je reprends ma route dès ces premières lueurs, leur tournant le dos. Plus j’avance, plus ma destination s’éloigne. Effet d’optique. Les collines s’avèrent montagnes. Un massif que je ne reconnais pas. J’ai pourtant maintes fois sillonné ce vieux continent en large et en travers au fil des siècles. Les paysages n’ont cessé de se remodeler sous le joug des hommes, mais jamais autant qu’au cours des dernières décennies. Mon estomac proteste, il devra patienter encore. Ces terres stériles ne recèlent que des pierres. La faim est devenue ma plus fidèle compagne avec la soif. Je parviens toutefois à étancher cette dernière, mais souvent au prix d’une lente agonie. Il semble qu’en cette apocalypse, mon destin soit de subir mille morts. Moi l’éternel étranger, le vagabond apatride, qu’ai-je donc fait pour mériter une telle malédiction ? Si je l’ai su, je ne m’en souviens plus.

 

Jour après jour, mes forces s’amenuisent. Le terrain se modifie, la rivière est devenue torrent. Je ne m’en approche que pour remplir ma gourde. Une sente naturelle remonte son cours et grimpe vers les sommets. Des touffes herbeuses percent les étendues de mousses de plus en plus présentes. Elles nourrissent mes espoirs les plus fous, ravivent ma volonté. Mes yeux furètent et inventorient chaque signe de vie. Des ronces rampantes et de petits buissons épineux s’invitent au détour de la moindre pierraille. Des champignons à la mine fort peu engageante me narguent sans complexes. Des insectes interrompent leur chant, affolés par le bruit de mes pas. Je m’accorde une pause pour mieux les écouter. Dans mon dos, la fuite discrète, mais caractéristique, d’un lézard me remplit d’une allégresse nouvelle. L’estomac tordu autant par la faim que l’appréhension, j’escalade la distance qui me sépare encore du col, le premier d’une longue chaîne. Les plus hauts sont enneigés. Entre leurs flancs, au plus profond du vallon, se niche une oasis de verdure. J’ai la nausée, la tête me tourne. Mon pied glisse. Trop faible, je ne parviens pas à retrouver l’équilibre. Ma chute déstabilise le sol caillouteux. Il m’entraîne avec lui, toujours plus vite. Mon crâne heurte un rocher : black out.

 

Dans un spasme convulsif, je reprends vie. Une fois de plus. Ma vision encore floue se pose sur une silhouette enfantine. Incrédule, je referme les yeux. Mon corps tendu à l’extrême, je n’ose plus bouger. Mon cœur bat trop vite, trop fort. Tous mes sens à l’affût, la respiration bloquée, j’écoute le silence. L’appréhension m’étouffe. Mes paupières tremblantes se soulèvent : il est toujours là, piqué sur un petit promontoire et à bonne distance. Il me fixe en retour, méfiant et fier. Des larmes d’émotion troublent ma vue. Je les essuie. Il en profite pour disparaître. Suis-je victime d’une illusion ? D’un bond, je suis sur mes pieds. Lui court. Déjà loin devant, tel un cabri, il dévale la pente escarpée. Qu’importe, il est bien réel. Inutile de l’effrayer.

Plutôt que de le poursuivre, je me cherche un abri, un lieu visible d’assez loin pour permettre une approche prudente aux futurs curieux. Je suis un intrus, le visiteur improbable. Par expérience, je le sais, l’inconnu, l’étranger est rarement le bienvenu. Combien de pierres m’a-t-on jetées, combien de maux m’a-t-on reprochés, pour ce seul crime ? J’ai depuis longtemps cessé d’en tenir le compte. Comme de tout le reste d’ailleurs.

Cette nouvelle résurrection a remis mon organisme à neuf. La faim s’est tue, mon esprit est un peu embrouillé, mais j’ai connu pire. Après quelques minutes d’incertitude, je m’assieds dans un contrefort naturel à l’horizon dégagé. Adossé à la pierre, je contemple le paysage. Je l’étudie. La flore, très dense au fond du vallon, m’empêche de localiser la moindre habitation. Elle s’étiole en remontant vers les sommets et, au détour d’une courbe, révèle un sentier. Autour de moi, la végétation reste clairsemée et rase, exception faite de quelques buissons esseulés. C’est plus que je n’en ai aperçu depuis des mois, des années mêmes. Plus loin, je devine de véritables bosquets et aussi des mouvements. Serait-ce mon petit sauvageon ? J’en doute. M’a-t-il vu revenir à la vie ? A-t-il compris ? J’espère que non, qu’il ne s’est pas approché assez près pour constater ma mort. Je m’arme de patience et attends que mon guetteur, quel qu’il soit, se révèle.

Le soleil se couche sans que la situation évolue. La lune offre un croissant bien chiche, mais aucun nuage ne vient la troubler. La voûte céleste se pare de ses plus beaux atours : la fin de toute civilisation a ses bons côtés. Vigilant, j’écoute la nuit, ses silences comme ses bruissements. Seuls mes yeux se meuvent, mes muscles s’engourdissent un peu.

 

La journée suivante s’enlise dans un calme plat, à peine perturbée par des échanges lointains. Des cris, des sifflements, impossible d’en certifier la provenance. Je me sais observé par plusieurs paires d’yeux maintenant. Mon impassibilité doit les intriguer. Ils n’osent toujours pas s’approcher, ni même se montrer.

 

Quatre jours s’écoulent ainsi avant qu’une silhouette ne se profile enfin. Lente, courbée, noyée dans les plis d’un vêtement informe et trop ample, elle s’aide d’un bâton pour gravir la sente, s’arrête souvent pour reprendre son souffle ou évaluer la distance qui nous sépare encore. Une femme. Plus de toute jeunesse, si j’en crois son allure. Bien que l’époque ait balayé beaucoup de certitudes.

Trois guetteurs sortent de leurs cachettes respectives. Une mise en garde silencieuse qui se répercute de loin en loin. J’en découvre plusieurs dont la présence m’avait échappé. De jeunes adultes pour la majorité. Combien d’entre eux sont nés dans cette vallée ? Ils brandissent des armes improvisées, des fourches, des pioches et sont vêtus de frusques. De la civilisation, leurs géniteurs ont emporté l’essentiel, ou alors c’est tout ce qui leur reste. Mon ambassadrice est seule assez âgée pour avoir connu le monde d’avant.

Je la laisse approcher à son rythme, n’esquisse pas le moindre geste, ne voulant surtout pas l’effrayer. Elle s’immobilise à une trentaine de pas et me lance une imprécation qui n’a rien d’aimable. La langue employée m’est inconnue. Du moins de prime abord. À défaut, le ton et la gestuelle sont très explicites : on ne veut pas de moi, je dois partir. Je me contente de saluer l’aïeule d’un lent hochement de tête.

Elle attend, contrariée. Elle me jauge et réitère :

— Té duchi, chă vă atuchă rău ! Té duchi ! Té duchi !

Pour appuyer son discours, elle se baisse, ramasse un caillou et le lance avec force dans ma direction. Il atterrit à mes pieds.

Je ne bronche pas.

— Té duchi, té duchi ! Chă vă atuchă rău ! Té duchi ! insiste-t-elle.

Il n’y a que peu de dialectes européens que je ne baragouine pas. Je m’efforce donc d’identifier celui-ci. Mon interlocutrice est édentée, ce qui n’aide pas. Pourtant certaines sonorités m’interpellent, ramènent à la surface des mots oubliés. Du roumain, peut-être ?

— Am venit în pace, tenté-je.

Un très bref instant déstabilisée, elle ne s’en fait que plus vindicative.

— Purtachi moartea ! Té duchi, té duchi !

Des pierres se mettent à pleuvoir devant moi, il en arrive de tous côtés. Aucune ne me touche. D’un geste large, elle calme ses troupes.

— Trebuie chă plechi ! m’intime-t-elle.

Je comprends. Je suis cet étranger qui apporte la peste, un mythe qui n’est pas dénué de sens. Toute intrusion dans l’équilibre fragile d’une microsociété menace de le rompre. Les Amérindiens et de nombreuses tribus d’Afrique ou d’Océanie l’ont appris à leurs dépens. Cependant, si cette femme a gardé quelques connaissances, ils ne me tueront pas. Ils craignent d’ailleurs sans doute plus que tout que je meure ici, aux portes de leur refuge, sur leur paillasson. Un paillasson qu’ils devraient brûler avec mon cadavre.

Si je comprends leurs craintes, je n’en suis pas moins las de ma solitude et de cette errance. J’ai besoin de me poser. Je ne nourris aucune illusion, quoique je fasse, cela ne durera qu’un temps, et il faudra un jour que je reprenne la route, mais pas aujourd’hui.

— Stau aici, eu nu se va muta.

Elle incline la tête, agacée, mais rebrousse chemin et s’en va parlementer avec les hommes restés en retrait. Je les observe tandis qu’ils débattent de mon avenir. Après quelques minutes, elle revient me lancer une dernière menace :

— Nu te micha de aichi, sau sunteti tura.

J’en doute, mais acquiesce et accepte la mise en quarantaine implicite. Une longue période d’attente débute. Je m’autorise à boire les dernières gorgées contenues dans ma gourde. Puis, sans gestes brusques, je me lève et marche jusqu’à la source du torrent, celui qui coule vers la plaine. On me suit des yeux. Je remplis ma gourde et reviens sur mes pas. Les guetteurs n’ont pas bougé. Quelques baies noires ornent les ronces. Des mûres. J’en ramasse une poignée et les déguste, une à une, en regagnant ma place. Mon estomac gronde d’aise autant que de frustration. Je dois me nourrir, mais sans prendre de risque. Il serait stupide de m’empoisonner, encore plus d’en mourir.

 

Le huitième matin, mes gardiens me jettent ce qui ressemble à une miche de pain. Je les en remercie, bien qu’elle soit presque aussi dure que la pierre. Impossible de la rompre, et pas question de sortir mon couteau de la poche où il se cache. Je me contente de la ronger. Exercice qui a l’avantage de tromper mon ennui tout autant que ma faim.

 

À partir du douzième jour, la femme monte me rendre visite. Souvent dans l’après-midi. Elle s’installe sur un rocher, maintenant la même distance de sécurité qu’à notre première rencontre. Elle ne s’attarde jamais plus d’une heure ou deux. Au début, elle cherche surtout à me convaincre de m’en aller, parle de la folie des hommes, des destructions passées. Pour ce que j’ai pu en comprendre. Pas toujours évident de la suivre dans ses divagations, je maîtrise mal sa langue et elle aussi. Ce n’est qu’à sa quinzième visite que je me permets de poser une question : « ces montagnes ont-elles un nom ? »

— Oachă.

Voilà qui ne me dit rien. Désormais, elle me conte leur histoire, l’histoire de ceux qui ont fui les villes et sont venus se réfugier à l’abri des hauts sommets enneigés du massif montagneux. De la neige, il en reste sur quelques crêtes. Les nuits sont très fraîches, les journées capricieuses, la durée de ces dernières se raccourcit, l’hiver approche. Mon refuge trop exposé devient de plus en plus inconfortable. J’attends toujours une invitation qui ne vient pas.

La vieille espace ses visites. Puis cesse de venir. Je réalise avoir oublié de lui demander son nom. Elle ne s’est pas enquise du mien non plus. Les guetteurs, bien que moins nombreux, se relaient fidèles au poste. De temps à autre, ils me remontent de la nourriture, mais jamais ils ne m’approchent. Je coche les jours. Soixante que je suis arrivé. Combien de temps encore vais-je devoir ronger mon frein ?

Hier soir sont tombés les premiers flocons. Ce matin, une fine pellicule de glace ourle les berges de la source. Au loin, une barre de nuages noirs n’annonce rien de bon. Ils viennent de l’Est et roulent au-dessus de la plaine, telle une vague monstrueuse.

Qu’est-ce encore ?

Le ciel s’obscurcit. De tous côtés.

Mes gardiens ont escaladé les plus hauts rochers pour mieux scruter l’horizon. Ils m’ont suivi sur ce versant où d’habitude ils ne se risquent pas. Ils se concertent, au bord de la panique. Un premier s’enfuit vers la vallée en donnant l’alerte, les autres attendent encore un peu, indécis. Le ciel s’assombrit encore. Pas d’éclair, juste le silence, un silence de mort. Je suis seul, les deux dernières sentinelles ont pris leurs jambes à leur cou. J’hésite à les suivre. De minuscules particules se déposent, maculent le sol, les plantes, la peau de mes mains. J’ignore ce que c’est, mais c’est déjà sur nous, et ce n’est que l’avant-garde. La température chute, le soleil disparaît. L’air vicié devient irrespirable. Je dévale à mon tour la sente interdite. Plié en deux, le nez dans mon manteau, je me réfugie sous un promontoire après quelques enjambées. Impossible d’aller plus loin.

— Des cendres ! Des putains de cendres !

Elles ne sont pas chaudes, juste étouffantes. D’où peuvent-elles bien provenir et comment peut-il y en avoir autant ? La réponse surgit de ma mémoire : Krakatoa. Un volcan ? Non, impossible, ils sont nombreux, mais inoffensifs pour la plupart, sauf peut-être… Yellowstone ? Non !

Mes jambes se dérobent, secoué de sanglots, je me laisse glisser contre la paroi de mon abri de fortune. Je prie. Je prie de toutes mes forces, le Très Haut, le Très Bas et tous les dieux ou déités naturelles, le Destin, la Fatalité ou encore l’Ironie Suprême. Je ne suis plus à ça près.

— Mais, qui que tu sois, si tu existes, fais que tout s’arrête, que ce soit la fin, l’Apocalypse mille fois promise et qu’on n’en parle plus !

 

Cette tempête infernale s’est enfin calmée, laissant derrière elle un linceul gris et un brouillard gras, oppressant. Impossible de respirer sans la protection d’une étoffe. Pas moyen de voir à plus de deux mètres. Même les orages les plus violents n’arrivent pas à nettoyer l’atmosphère. Entre deux morts, la folie me guette, comme je guette le retour de la vieille. Parfois, je crois les apercevoir, elle ou l’enfant, ou encore une de mes sentinelles. Mon cœur se met à battre, plus fort. J’attends, j’espère, puis déchante et meurs à nouveau.

 

La pluie est tombée, la neige aussi. Elle a fondu. À force de patience, le soleil se perce une trouée et inonde enfin la vallée. Elle est trop profonde pour que j’en voie chaque repli, mais la végétation a succombé partout où porte mon regard. Je n’ai pas la force de descendre constater les dégâts. Alors, j’attends, j’attends que quelqu’un remonte. J’attendrai s’il le faut jusqu’à ce que le soleil se décide à dévorer cette maudite planète et moi avec.